Hélène Otternaud – Richard

Hommage à Hélène Otternaud Richard

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J’ai appris avec grande tristesse ce soir le décès d’Hélène Otternaud. Nous nous étions rencontrés à l’occasion du montage d’un conte chinois du 3ᵉ siècle « Le Héros ». C’était en 2018, avec Arts & Bien-être, Dorian, Jean-Claude. Ce fut un privilège de partager ce bout de scène avec elle. L’histoire était celle d’un gamin bagarreur, terreur de son village, qui apprenait à grandir, dépassait sa violence et devenait un grand homme, une jolie métaphore illuminant la quête humaine de la vie. L’année précédente, c’était un autre conte, « Une maison pour quatre », avec des enfants de maternelle, adapté d’un récit populaire en Afrique : pas facile pour le tigre, l’éléphant, le serpent et le hibou de former une communauté pour construire et habiter la même maison, quand on est si différent !

La leçon vaut pour tous, en tout temps. Pour Hélène, l’Art constituait ce ciment qui permet à la maison commune des hommes et des femmes de tenir bon face aux différences et aux aléas de la vie. Du conte ou du théâtre à la vraie vie, il n’y a qu’un pas. Hélène l’a répété toute sa vie, croyant dur comme fer à la beauté, à l’amitié, au partage, traçant infatigablement sa route en suivant cette étoile. Elle n’en a jamais dévié. Comédienne, peinte, sculptrice, militante infatiguable des petites et grandes causes jusqu’au bout des ongles, elle est restée toute sa vie fidèle à cette conviction, entière, passant d’une exposition à un marché avec les mêmes mots simples, la même chaleur, le même engagement. Elle ne quittait pas ce compas des yeux, l’élevant en toute circonstance au-dessus des rivalités et des revers de la vie. Son engagement artistique était pour elle l’ingrédient irremplaçable de la vie, qui anime, rapproche et rassemble. La beauté, la nécessité de la création était pour elle les seules défenses face à la fragilité des êtres et de leurs œuvres. C’était sa boussole, son impératif de vie, la voie qu’elle a suivie toute sa vie. Elle y entrainait joyeusement ses amis. Nous y étions heureux avec elle, illuminés de son rêve de paix.

(Jacques)

J’en conserverai cette image :

Elle a toujours eu un jardin magnifique où des milliers de fleurs colorées égayaient les murs gris de la ville. Nous étions au début du mois de février et c’était évidemment bien plus triste, cependant le forsythia commençait à bourgeonner. Présenter les plantes qu’elle y faisait pousser était un de ses grands plaisirs. Moi, je n’ai jamais été doué pour entretenir les jardins et je redoutais les moments où, pleine d’enthousiasme, elle déterrait précautionneusement un petit pied pour que je le ramène chez moi. Ma pauvre, ce n’est pas ainsi que je pourrai te rendre hommage…

Ce jour-là mes deux amies et moi fûmes accueillis par son frère, venu de loin pour veiller sur elle. Nous arrivions à trois et nous avions peur de la submerger ; je ne sais pas qui, de nous tous, fut le plus submergé. J’avais été prévenu du fait que la maladie l’avait bien amoindrie mais la voir dans ce lit me fit un pincement. Lorsque j’entrai dans la pièce, elle remonta sur ses épaules le drap qui la couvrait, d’un geste plein de pudeur. Même ici, bien qu’elle fût si fatiguée, elle s’efforçait encore de respecter les convenances. Il était étrange de la voir ainsi transformée et pourtant plus belle que jamais. De fins cheveux gris couvraient délicatement le haut de sa tête et laissaient entrevoir ses yeux qui se perdaient habituellement sous le bonnet qu’elle coiffait. Aujourd’hui comme aucun autre jour nous pouvions profiter du bleu de ses yeux, qui semblait si limpide et lui donnait un air apaisé. Elle avait replié ses jambes sous la couette et ses bras fins reposaient sur le dessus du tissu. Par moments, ils s’élevaient au dessus de sa tête en arabesques harmonieuses, et ses mains dessinaient des volutes dans l’air. Tandis que je regardais ses gestes gracieux elle semblait emportée dans une forme de rêve ou de méditation. Pendant quelques secondes, elle dansait dans son esprit, et elle dansait comme elle le pouvait dans son corps. Et puis elle revenait avec nous dans l’étroitesse de ce petit salon. Sa tête tournait difficilement sur l’oreiller mais cela n’empêchait pas ses yeux de passer de l’un à l’autre de nous trois et ses lèvres esquissaient un sourire lorsqu’elle s’arrêtait sur chacun de nous. Tout demandait une énergie folle : tourner la tête, lever le bras, sourire, ouvrir les yeux, parler… Bientôt je me trouvais seul assis à côté d’elle, mes amies s’étant éloignées un instant. À ma gauche, la technologie me ramenait constamment à la réalité : un petit appareil délivrait avec un cliquetis régulier quelques gouttes de morphine. Et face à moi je la retrouvais pour plonger avec elle dans l’oubli. Nos regards se croisèrent et nous restâmes longuement perdus dans les yeux l’un de l’autre. Ni elle ni moi ne disions rien simplement car il n’y avait rien à dire : nous avions besoin d’échanger autrement que par les mots. Alors nous restâmes à partager nos regards. Bientôt l’émotion grandit encore et ses épaules s’agitèrent des soubresauts d’un sanglot étouffé. Toujours digne, elle semblait cacher la tristesse de se savoir indisposée. Lentement elle porta une bouteille vers son visage et en plaqua le goulot contre ses lèvres tendues en avant. Boire faisait partie de ces choses anodines qui maintenant lui demandait la plus grande concentration. J’ai senti petit à petit mes yeux se gonfler de larmes mais je ne pouvais l’abandonner, alors je conservai ma contenance et les emplis plutôt de toute la bienveillance qu’il me fût possible de trouver. Ce regard était le seul moyen de lui offrir tout mon soutien. Elle s’y accrocha et il me sembla que cela lui fît du bien.

Elle nous a dit n’avoir pas mal, je le crois volontiers et j’en suis bien heureux. Ce jour-là elle dansait pour ne pas penser à l’impossible ; elle était belle et j’en conserverai cette image.

 

Dans son départ, il m’a semblé entendre la mélodie de cette chanson qu’elle écrivît quelques temps auparavant.

Bonnes gens écoutez notre histoire,
Asseyez-vous confortablement,
Laissez-vous bercer et émouvoir
En douceur, musique et sentiment.

Bonnes gens, écoutez notre histoire.

Quelquefois la vie nous joue des tours,
Il faut alors beaucoup de courage 
Pour continuer jour après jour
D’avancer au milieu des orages.

Bonnes gens, écoutez notre histoire.

Nos héros ne cherchaient pas l’argent,
Ils ne cherchaient pas non plus la gloire,
Mais ils ont vécu bien des tourments.

Bonnes gens, écoutez notre histoire.

Ils ont su déjouer le destin,
N’ont jamais abandonné l’espoir,
Ont triomphé de tous les chagrins.

Bonnes gens, écoutez notre histoire.

(Dorian)

Hélène nous a quittés hier, à l’âge de 74 ans, des suites d’un cancer de la plèvre.
Elle a fait partie des premières formatrices FU avec Catherine. Elle alternait le mardi matin avec Jean-Pierre, Alain et Marie-Pierre. Elle aimait cette demi-journée.
Je la connaissais d’Arts & Bien-Etre (concerts en appartement, Coin Lecture, balades…). C’était une conteuse, pour petits et grands, talent qu’elle tenait de son métier d’actrice et d’artiste en général. Elle sculptait et créait. J’ai chanté avec elle aussi.
Elle était de toutes les associations de Malakoff :
La Fabrica’son où elle tenait la caisse lors des concerts.
La Ferme Urbaine. Au sujet de la querelle de chefs, elle disait “ce n’est pas le pouvoir qui m’intéresse, mais faire les choses”.
Et elle en faisait beaucoup.
Elle va manquer à la vie associative de Malakoff.
(Fabienne)
 
Conte Dorian